05 octobre 2006

Le Grand Meaulnes

Hier, 4 octobre, je suis allé voir au cinéma l’adaptation du roman «Le Grand Meaulnes», réalisée par Jean-Daniel Verhaeghe.
«Le Grand Meaulnes» d’Alain-Fournier, c’est d’abord un des chocs littéraires de ma jeunesse, avec quelques autres livres («Roméo & Juliette» de Shakespeare, «Le Pays où l’on n’arrive jamais» d’André Dhôtel, «Sans Famille» d’Hector Malot, «L’Ile Mystérieuse» de Jules Verne, «Le Chien des Baskerville» et «La Ville du Gouffre» de Conan Doyle parmi d’autres, et plus tard «Le Meilleur des Mondes» d’Aldous Huxley, «1984» de George Orwell, «La Peste» d’Albert Camus, «Orient Express» de Graham Greene, «L’Herbe rouge» de Boris Vian, «Ravage» et «La Nuit des Temps» de René Barjavel). J’ai toujours eu une affection particulière pour «Le Grand Meaulnes», fasciné que j’étais par l’amitié entre le sage François Seurel, son amour secret pour Yvonne de Gallais, et Augustin Meaulnes, ce personnage étrange qui apparaît et disparaît mystérieusement, lié par un serment d’amitié indéfectible… Et puis, Meaulnes est un petit village du Bourbonnais, à la lisière de ma chère Forêt de Tronçais. J’ai eu la chance de visiter il y a quelques années, avec mon père, Epineuil-Le-Fleuriel où vécut l’auteur du roman de sa vie, Henri Alain-Fournier. Alain-Fournier qui connut un destin tragique, quelques mois après la publication de l’ouvrage, puisqu’il fut parmi les premières victimes de la Première Guerre Mondiale. On ne retrouva son corps qu’il y a quelques années. Sa disparition si jeune ne peut que susciter l’effroi. De même que la disparition du grand Saint-Exupéry, quelque part au dessus de la Méditerranée, après s’être envolé de Bastia, a une aura de mystère… «Le Grand Meaulnes» fut adapté une première fois au cinéma à la fin des Années 1960, avec la belle Brigitte Fossey (dont j’étais jadis fou amoureux !) dans le rôle d’Yvonne de Galais. Je n’ai jamais vu ce film mais mes parents m’en parlaient avec de la passion dans les yeux et dans la voix.
Le film maintenant. On pourra le taxer de classicisme, voire d’académisme. J’avoue moi-même avoir eu un peu de peine à rentrer dedans puis le charme a fini par agir… C’est une jolie adaptation qui ne peut laisser indifférent. Bien sûr, on est loin des superproductions d’aujourd’hui ou même de la dérive des sentiments de notre époque. Ici, on a à faire à des sentiments simples et purs, amitié, amour, respect de la parole donnée, solitude, rêverie… Tout pour me plaire ! Nicolas Duvauchelle dans le rôle titre apporte suffisamment de mystère au personnage. Jean-Baptiste Maunier, que l’on attendait après «Les Choristes», est un François Seurel crédible, même s’il est difficile de l’imaginer instituteur dans la seconde partie du film… Mais c’est un fait historique de l’époque, fidèle au roman : on devenait très jeune instituteur, bien avant sa vingtième année… Clémence Poésy, avec ce joli nom, est un peu en recul, surtout comparée à Emilie Duquenne qui fait une belle apparition en Valentine (et puis j’aime beaucoup cette actrice !!). Jean-Pierre Marielle, en patriarche de Galais, est simplement excellent. Philippe Torreton, l’instituteur, Monsieur Seurel, est assez effacé. Les décors sont évidemment magnifiques, la Sologne est si jolie… les forêts, les prairies, les étangs… des paysages que j’affectionne particulièrement… Et puis il y a la merveilleuse musique de Philippe Sarde, l’un des meilleurs compositeurs français… L’épilogue du film, qui est totalement inédit par rapport au roman, est l’évocation du destin tragique d’Alain-Fournier et de toute sa génération : le sacrifice d’une jeunesse dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale (les monuments aux morts de tous les villages de France sont là pour nous rappeler cette immense tragédie).
Au final, un film «à l’ancienne», au charme parfois un peu désuet, mais qui donne surtout l’envie de replonger dans le roman, et dont les images nous hantent longtemps après que la salle soit rallumée, surtout à l’arrivée de l’automne et des feuilles mortes, de ces couleurs si belles et de ce temps si mélancolique… Et puis, une heure quarante de romantisme dans notre monde si absurde, sans «valeurs», plein de bruit et de fureur, ça ne peut que faire du bien et donner envie de repartir vers de nouvelles aventures… clin d’œil à la conclusion du roman, bien évidemment…
Je dédie cette « critique » à Soleiman, qui fut mon élève à Luri et à qui j’avais fait découvrir ce roman… Je me souviens qu’il l’avait beaucoup apprécié.